mardi 15 janvier 2008

Première soirée (Arthur Rimbaud)

Après la publication intégrale d'Evangeline, voici, déposée sur le comptoir de la poésie, la suite de la brève série de poèmes à la carte avec le mot "mot".
En effet, comme proclame un chanteur inénarrable et néammoins
national, "les mots, les mots ne sont jamais les mêmes".

Contrairement à la précédente livraison, Arthur Rimbaud nous fournit ici un poème sensuel voire très délicatement érotique.

Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.

Assise sur ma grande chaise,

Mi nue, elle joignait les mains.

Sur le plancher frissonnaient d'aise

Ses petits pieds si fins, si fins.

Je regardai, couleur de cire,

Un petit rayon buissonnier

Papillonner dans son sourire

Et sur son sein, - mouche au rosier.

Je baisai ses fines chevilles.

Elle eut un doux rire brutal

Qui s'égrenait en claires trilles,

Un joli rire de cristal.

Les petits pieds sous la chemise

Se sauvèrent : "Veux-tu finir !"

La première audace permise,

Le rire feignait de punir !

Pauvrets palpitants sous ma lèvre,

Je baisai doucement ses yeux :

Elle jeta sa tête mièvre

En arrière : "Oh ! c'est encore mieux ! ...

Monsieur, j'ai deux mots à te dire ... "

Je lui jetai le reste au sein

Dans un baiser, qui la fit rire

D'un bon rire qui voulait bien ...

Elle était fort déshabillée

Et de grands arbres indiscrets

Aux vitres jetaient leur feuillée

Malinement, tout près, tout près.