lundi 19 novembre 2007

Evangéline (Henry Wadsworth Longfellow) [quatrième partie]

Evangéline est un très long et très épique poème de Henry Wadsworth Longfellow (plus de 3000 lignes et 20 000 mots) qui raconte la déportation des Acadiens.
Ce poème a eu un grand effet sur les cultures acadiennes et
canadiennes (d'après Wikipedia).
La traduction en
français est due à Pamphile Le May.
Poésie en vrac va publier petit à petit l'intégralité de ce poème incroyable.


Elle était belle à voir au temps de la moisson,
Et comme la génisse elle avait douce haleine,
Quand elle s'en allait, en corsage de laine,
Porter aux moissonneurs, dans les champs plantureux,
Le midi, des flacons de cidre généreux.
Mais, les jours de dimanche, elle était bien plus belle.
Quand la cloche faisait, du haut de sa tourelle,
Pleuvoir les sons bénis dans l'air frais et vibrant,
Comme de l'aspersoir du pieux célébrant
Tombe, après l'oraison, l'eau sainte en gouttes drues,
On la voyait venir par les ombreuses rues,
Simple en sa jupe bleue, et tenant à la main
Un chapelet de verre ou le missel romain.
Sous son bonnet léger, bonnet de Normandie,
Luisaient des boucles d'or, qu'aux bords de l'Acadie
Une aïeule de France autrefois apporta,
Que la mère, en mourant, à sa fille quitta
Comme un gage sacré, comme un noble héritage.

On voyait cependant briller bien davantage
Sa grâce et sa candeur que rien ne surpassait,
Quand, venant de confesse émue, elle passait
Adorant dans son coeur Dieu qui l'avait bénie.
On aurait dit alors qu'une molle harmonie,
Comme les blés au vent, sur ses pas ondoyait.

Vaste était la maison. De loin, on la voyait
Sur le flanc d'un côteau, dont les gras pâturages
Hardiment descendaient jusque sur les rivages.
Le chemin pour s'y rendre était bordé d'ormeaux;
Un sycomore ombreux voilait, de ses rameaux,
Les bancs auprès du seuil et la haute toiture.
Le portique était fier de sa rude sculpture.
Dans la large prairie un sentier se perdait,
Qui trouait le verger
. Une vigne pendait,
Guirlande glorieuse, au tronc du sycomore,
Et protégeait l'essaim d'une ruche sonore.
Dans le bourdonnement, sous l'arbre qui tremblait,
En son rustique abri, la ruche ressemblait
Aux niches de la Vierge, aux troncs des faméliques
Que met la charité sur les routes publiques.

Plus bas, sur le côteau qui regardait la mer,
C'étaient le puits moussu, le seau cerclé de fer,
Et l'auge où s'abreuvaient chevaux, boeufs et génisses.
Puis, du côté du nord, plusieurs longues bâtisses:
Des granges, des hangards
, en la froide saison,
Contre les ouragans protégeaient la maison.

C'est là qu'on remisait les voitures diverses,
Les harnais, les outils, la charrue et les herses.
Là qu'on voyait aussi le bercail de moutons,
Et le sérail de plume où régnaient les dindons,
Où le coq orgueilleux chantait d'une voix fière,
Comme au jour où sa voix troubla l'âme de Pierre.

Et tout cela semblait un village, de loin.
Les granges, en été, se remplissaient de foin.
Leurs toits proéminents étaient couverts de chaume,
Et le trèfle fané remplissait de son baume
Le fenil où montait un solide escalier.
Là se trouvait aussi l'amoureux colombier,
Avec ses nids moelleux, ses tendres créatures,
Ses roucoulements longs, ses folles aventures,
Et mainte girouette, au moindre essor des vents,
Criait du haut des toits le changement du temps.
En paix avec le ciel, en paix avec le monde,
C'est ainsi que vivait, dans sa terre féconde
,
Le fermier de Grand-Pré. Sa joie et son appui,
Toujours Évangéline était auprès de lui,
Et sagement toujours gouvernait le ménage.
A l'église, souvent, les gars du voisinage
Tenaient ouvert leur livre, ou priaient à genoux,
En reposant sur elle un oeil un peu jaloux,
Comme si, dans un nimbe, elle eut été la sainte
Qu'ils venaient invoquer en la pieuse enceinte.

Heureux qui par hasard touchait sa blanche main,
Voyait sourire un peu ses lèvres de carmin !
Ceux qui frappaient, le soir, à sa porte, dans l'ombre,
En entendant ses pas dans le corridor sombre
Résonner tout à coup, se demandaient en vain
Lequel battait plus fort, du lourd marteau d'airain
Ou de leur coeur, parfois, hélas! un peu volage.

Et gaîment on fêtait le patron du village.
Les jeunes et les vieux descendaient au vallon,
Pour y danser sur l'herbe, au son du violon.
Bien des garçons alors, débordants de tendresse,
Tour à tour lui disaient des mots si pleins d'ivresse,
Qu'ils semblaient un écho de l'agreste concert,
Mais pour Gabriel seul son coeur s'était ouvert,
Gabriel Lajeunesse, un garçon de Basile.

Or, ce Basile était un forgeron habile,
Un homme aimé de tous, et des plus importants.
Le peuple n'a-t-il pas proclamé de tout temps,
L'état de forgeron un état honorable ?

Pour en savoir plus sur l'Acadie et Evangéline (avec notamment quelques cartes géographiques anciennes de l'Acadie) :